Travis, Kanye, Jay-Z, etc : Pourquoi les baskets collector se vendent si cher ?

Fans de streetwear, collectionneurs compulsifs ou jeunes adultes secoués par les premiers frissons de la spéculation : les passionnés qui traitent leurs baskets avec autant de respect qu’une œuvre d’art sont de plus en plus nombreux. Gros plan sur un phénomène qui secoue la mode de la rue. 

Par Marie Honnay. Photos : D.R. |

Fruit d’une première collaboration entre Jordan (une marque du groupe Nike) et la maison de luxe parisienne Dior, la sneaker Dior Air Jordan 1 High s’affiche jusqu’à 37 528 € sur le site de luxe Farfetch. En fonction des pointures, le prix peut descendre un peu... Jusqu’à 18 000 €. Pas un de moins compte tenu de la rareté de ce modèle. Pour comprendre l’incompréhensible et tenter de saisir certains codes de la sneakers-mania, nous avons poussé la porte de BBall in the Sky, la boutique/galerie d’art bruxelloise de l’ancien basketteur belge d’origine algérienne Mehdi Ould Kherroubi Hacine-Bey. Un espace lancé dans le sillage d’un projet artistique urbain visant à revaloriser les terrains de basket de certains quartiers de la capitale par le biais d’interventions artistiques.

Observateur attentif de ce mouvement qui a fait de la basket une sorte d’ovni dans le secteur du luxe - un objet à mi-chemin entre accessoire couture et œuvre d’art -, ce sportif, diplômé en sciences politiques, date le début du phénomène vers 2005 lorsque la marque Nike a commencé à collaborer étroitement avec le basketteur Michael Jordan. "Par la suite, quand Jordan a mis un terme à sa carrière, la marque a connu un boom énorme. Car quand on parle de baskets collector, ce qui prime, c’est la rareté. Dès qu’un modèle, le plus souvent lancé en édition limitée (puis réédité dans un petit nombre d’exemplaires) est épuisé, les prix s’envolent immédiatement", précise notre expert.

Travis, Kanye, Jay-Z

Le phénomène se marque surtout dans le cas de collaborations entre une marque de sport (Nike ou son concurrent direct Adidas, l’inventeur de la première basket en cuir) et les rois de la hype américaine : le rappeur Jay-Z, mais aussi Travis Scott, l’un des artistes qui a largement contribué à la flambée des prix de certaines sneakers ces dernières années.

L’un des modèles qui agite le plus les Sneakersheads en ce moment ? Le Nike Air Yeezt 2 Red October, fruit du rapprochement entre l’équipementier et le rappeur américain Kanye West... désormais passé chez l’ennemi, Adidas. Une trahison qui, forcément, a encore fait grimper la cote des sneakers en question. Certains modèles se sont envolés à plus de 13 000 €. Dans sa boutique du quartier Dansaert, Mehdi Ould Kherroubi Hacine-Bey ne joue pas dans cette cour. "J’ai choisi de distribuer des modèles encore produits à l’heure actuelle : la Stan Smith d’Adidas et la cultissime Airmax, deux modèles que j’ai fait customiser par Youssef Hancoq, un artiste de la scène bruxelloise." Baptisés Dansaert Legacy, ces deux modèles coutent 250 € chacun : un prix plus élevé que la version basique vendue sur n’importe quel site de baskets, mais plus bas que les modèles qui font courir les Sneakersheads. "Avec ces deux créations, je cherche à toucher à la fois le fan de mode qui souhaite porter un modèle rare, mais abordable, pour accessoiriser un jeans ou un costume et le collectionneur qui anticipe une éventuelle prise de valeur de ces deux modèles", nous confie-t-il.

La Jordan s’apparente à une Mercedes. Sa valeur de revente est assurée

Des Nike Air customisées par le street artist Youssef Hancoq, baptisés Dansaert Legacy, vendues à 250 € chez BBall.

Dans ma benz

Si le commerçant-galeriste est davantage concerné par ses projets de revalorisation urbaine (une partie des bénéfices de sa nouvelle activité sont réinjectés dans des projets au sein du quartier Dansaert) que par la spéculation dans le registre de la basket, il compte, parmi ses amis, quelques Sneakerheads qui profitent de son nouvel espace pour présenter (et vendre) leurs pépites. À l’avant du magasin, on aperçoit ainsi une Concorde, un modèle de la marque Jordan désormais introuvable sur le marché. Prix annoncé : 1 000 €. On est loin de la Jordan Dior, mais on peut tout de même se demander ce qui justifie un tel prix quand on sait qu’on peut s’offrir une paire de Nike à moins de 100 €. "Une basket ne prendra de la valeur que si le produit est reconnu. La Jordan, par exemple, s’apparente à une Mercedes. Sa valeur de revente est assurée, quoi qu’il arrive. Le reste est une question de marketing. En fonction de la star qui cosigne le design et la promotionne dans la presse, les prix vont plus ou moins grimper", poursuit Mehdi Ould Kherroubi Hacine- Bey. À titre d’exemple, il cite la Kobe 7, une basket dont la cote s’est envolée depuis la mort prématurée du basketteur Kobe Bean Bryant. Quand certains observateurs ont accusé Nike de continuer à se faire de l’argent sur le dos du sportif, la marque a immédiatement arrêté la production. "Conséquence : la valeur des sneakers a grimpé d’un coup", ajoute-t-il.

La Concorde, un modèle de la marque Jordan désormais introuvable sur le marché

Sous cellophane 

Pour qu’une basket devienne collector, il est important qu’elle soit comme neuve. "La majorité des Sneakersheads ne portent leurs précieuses sneakers qu’une seule fois. Les futurs collectors sont ensuite emballées dans de la cellophane pour éviter que la gomme et le caoutchouc jaunissent prématurément. "

La plupart des dingues de sneakers sont des hommes, majoritairement citadins. Parmi les vrais spéculateurs, on compte aussi de plus en plus d’ados que l’immédiateté des achats en ligne et la possibilité de gagner rapidement de petites (ou grosses) sommes d’argent incitent à se lancer dans le business. Contrairement à ce qu’on peut observer aux États-Unis et au Japon, la Belgique compte peu de femmes dans ce créneau. Pourtant celles qui ont l’habitude d’acheter des escarpins de luxe qu’elles ne portent jamais, juste pour le plaisir de les regarder, voire de les collectionner, jouent, sans le savoir, dans la même cour.

Certains collectionneurs ont même confié à notre expert avoir fait assurer leurs sneakers. "Quand on possède des modèles de plusieurs milliers d’euros dans son placard, c’est finalement assez logique", conclut-il avant de rappeler que "le basket est, à l’origine, un sport pratiqué dans la rue par des jeunes de milieux plutôt défavorisés". Si elle est intéressante à observer, cette nouvelle forme de spéculation ne doit pas faire oublier l’importance d’entretenir les terrains publics, voire - comme il l’a fait à Ixelles et dans le quartier Dansaert, en s’inspirant d’autres terrains, dont celui de Pigalle à Paris -, de donner une dimension artistique aux terrains qui animent nos centres urbains.

L'adresse ? BBalls in the Sky, place du Nouveau Marché aux Grains, 1000 Bruxelles. bballinthesky.com

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